• 20 secondes entre nous

     

    J’étais paniqué. Je ne voulais pas, non je ne voulais pas qu’il reste ici. Pire que la peur de la mort, j’avais peur en cet instant qu’à s’entêter à me sauver, il y reste également. La porte était fermée à clé, la clé disparue depuis longtemps, sous l’eau qui montait rapidement dans la cabine.
     
    J’avais voulu faire l’enfant et j’allais mourir bêtement.
     
    Une croisière qui s’annonçait de rêve, une dispute stupide à propos d’heure de sortie, la décision puérile de s’enfermer à clé dans la cabine en prenant grand soin de balancer la clé sans même regarder où elle avait atterrit. 
    Et tout d’un coup, l’alarme. Une vague. Immense. Qui submerge tout et permet à l’eau salée de pénétrer dans le navire. Je me trouvais au moins troisième étage. J’avais peur. 
     
    J’étais toute seule. Je me suis acharné pendant deux ou trois minutes sur la poignée, l’eau m’atteignant déjà les genoux, avant d’avoir un soupçon de lucidité. La porte était fermée à clé. Je me mis à la chercher de façon frénétique, celle qui me permettrait de m’échapper et d’espérer survivre.    
     
    Sans succès. 
     
    J’avais l’eau à la taille. Je suis devenu hystérique, je hurlais littéralement de pleure, de peur. D’une soudaine pulsion de vie à 20 minutes de la mort.
    J’ai retourné chaque meuble, j’ai tout vidé, placard, tiroir … tout.
     
    Rien.
     
    Je me suis acharné au poing contre cette maudite porte, jusqu’à avoir les mains en sang. 
    Inutile.
    J’ai même essayé d’alerter des gens qui fuyaient, du moins le peu qu’il restait, tapant comme une demeurée pour attirer leur attention.
    Une femme avec son garçon me regarda. Elle posa son regard sur son enfant, puis sur moi. Elle fit un pas en avant. 
    Je me suis calmé. Je lui ai lancé un regard désolé en bougeant ma tête de gauche à droite doucement. 
    Elle a compris le message. Elle est partit en pleure, sans un regard en arrière, sûrement rongé par la culpabilité. 
    J’avais l’eau au ventre, et je ne ressentais plus rien.  Après cette période de peur puis de colère, je me suis assise sur l’un des meubles qui flottait, et j’ai regardé le hublot. On voyait la mer. 
    L’alarme s’éteignit dans un bruit d’horloge déréglée. L’eau était en train de noyer tout le système électrique.
     
    Puis vint le silence. 
     
    Un silence comme une prière avant la mort. Comme quand tu sais que tu es déjà foutu. 
    Alors j’ai fermé les yeux et j’ai fait le vide.
    Jusqu’à entendre une voix. Une voix masculine qui criait mon nom. Celle de mon père.
    J’eu un bref flash d’espoir, puis de peur. Pour lui. Il s’est mis à taper de toutes ses forces sur la porte. Sans avoir plus de succès que moi. De mon côté, en regardant à terre, j’aperçu un éclat argenté. 
     
    Une clé. 
     
    Je remontais à la surface et la brandit pour que mon père la voie. Il arrêta de cogner contre la porte, me faisant signe de me dépêcher de la mettre. Ce que je fis immédiatement. 
    Pourtant, au bout de deux tours, la porte ne s’ouvrit pas. Je me suis mise à tirer, à pousser dessus.
    Elle ne s’ouvrait pas. J’eus les yeux ternes. Comme abandonnée. J’articulais et parlait aussi fort que je le pouvais : 
     
    « La pression … »
     
    Il eut une expression que personne ne souhaite voir sur le visage de son père : il eut de la peur. La peur de perdre son enfant. J’aurais été proche de lui, je l’aurais certainement entendu crier. 
    Je l’ai regardé avec une expression tendre. Les larmes dégoulinant mes joues, mais au final, je réussi à ne pas afficher une mine angoissée. J’ai essayé de lui parler, mais il semblait noyé dans son désespoir. D’avoie sa fille de l’autre côté, à une porte de lui, à 20 centimètres, et de ne pas pouvoir la sauver.
     
    Fouillant la porte du regard, j’aperçu un marqueur dans un des tiroirs. Le sortant, je me suis dirigée vers le hublot de la porte, et j’ai écrit d’une main tremblante : 
     
    « VA T’EN »
     
    Après avoir lu mon message, il a littéralement éclaté en sanglot. Et moi aussi. 
    L’eau m’arrivait à la poitrine.
    Voyant qu’il ne bougeait toujours pas, j’ai frappé sur la porte et je me suis mise à crier. 
    Va-t’en. Ne reste pas là. Maman t’attends là-haut. Ma petite sœur aussi. 
    Alors va-t’en. S’il te plaît.
    Mais il restait là. Têtu. Inflexible. Il a posé sa main sur la porte, et son front sur le hublot. Et il m’a regardé les larmes aux yeux. 
    J’ai fait de même. Et on s’est lancé des regards désespéré et suppliant. 
    J’avais l’eau aux épaules. Je lui ai redit de s’en aller. Il m’a simplement murmuré qu’il ne pouvait pas. 
    Qu’il ne pouvait pas m’abandonner. Alors on s’est regardé. Avec peur, avec colère, avec larmes, avec désespoir…
    Combien de temps … je ne saurais le dire. D’un accès de fureur, il a frappé le hublot, le faisant s’éclater. Mais malgré cela, je ne pouvais pas sortir. 
    J’en ai profité pour lui dire de partir. Il m’a fait remarquer du coin de l’œil, que la porte du fond du couloir était également fermée par la pression.
    Et après le désespoir est venue la colère. J’ai frappé de toutes mes forces sur la porte, lui hurlant des pourquoi à la pelle. 
    Il allait me répondre quand le bateau est entré en collision avec on ne sait quoi. Le choc a entrouvert la porte, que mon père s’est empressé d’ouvrir d’un coup de pied bien placé. 
     
    Et il m’a rejoint. Fermant la porte.
     
    Il m’a prise dans ses bras. Une prise qui se voulait rassurante. L’eau nous arrivait au menton, et on ne pourrait bientôt plus respirer. Nos têtes ont rapidement touché le plafond.
    L’eau parcourant nos visages. Quand il ne resta que nos yeux, j’ai posé ma bouche sur sa joue en un baisé enfantin. Articulant doucement, avec tendresse : 
    « Bonne nuit papa ».
    Il a hoché la tête avec douceur. On est resté entrelacé tous les deux. La simple étreinte d’un père pour sa fille. Pour la rassurer, pour lui transmettre son amour.
     
    Un je t’aime à peine murmurer. L’eau qui remplit la salle, qui emplit les poumons, qui suppriment la vie. 
     
    Nos corps figés dans cette étreinte. Dans ce dernier câlin. 
    C’était notre dernier moment. 
     
    C’était juste … 20 secondes entre nous.       

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